Le DVD que je me suis fait offrir à Noël propose des « bonus » par
rapport au film en salle de ma jeunesse. En plus de l’interview, assez
conventionnelle, de l’acteur Alexandre Arbatt, on y trouve une interview de Joël
Lautier et une d’Alain Giffard, excusez du peu, ce dernier étant le concepteur
des quelques parties que l’on entrevoit dans le film (cf ma chronique
précédente). Tentons de répondre, à la lumière du film et de ces deux
entretiens, à la question : « Quel est l’adversaire et à quoi joue-t-on ? ».
D’abord, Liebskind (Piccoli) répond sèchement ‘moi, je suis venu pour jouer aux
échecs’ mais il joue aussi au go, contre un ami, et aux dames, contre sa femme.
On ne distingue absolument pas le plateau du jeu de dame (ah ah ah…) et pour ce
qui est du go-ban que l’on entraperçoit deux secondes, je ne suis pas
spécialiste mais j’ai vaguement l’impression que ça ferait hurler de rire même
un débutant. En revanche, dans un magnifique monologue, Fromm (Arbatt) raconte,
avec de la poussière d’étoiles dans les yeux, sa partie, alors qu’il était
gamin prometteur, contre celui qu’il affronte de nouveau, cette fois pour le
titre de champion du monde. La description émerveillée de cette partie est
magique, tout simplement. On y parle du passage de relais entre générations via
un stylo, et on y ressent intensément la passion du jeu qui anime Fromm, son
envie de gagner, le goût amer de la défaite, alors que la victoire est si belle
et la revanche tant attendue. Il est vrai qu’Alexandre Arbatt est un joueur d’échecs,
tandis que Piccoli ne l’est pas du tout et je dois dire que ça se devine rien
qu’à les regarder bouger les pièces. Ceci est confirmé par Alain Giffard, qui raconte
dans les bonus du DVD que Piccoli a simplement cherché à apprendre par cœur les
gestes qu’il devait faire pour simuler les bouts de partie d’échecs qu’il est
sensé jouer. Si Alain Giffard indique avoir été impressionné par le
professionnalisme de Piccoli, on peut regretter que ce même Giffard n’ai pas
pris le temps de lui expliquer comment un joueur expérimenté fait glisser une
dame sur l’échiquier, et qu’il n’ait pas indiqué au réalisateur qu’on ne dit
pas « échecs » lors d’un championnat du monde, détail que J. Lautier
signale, goguenard, dans son interview.
Le film étant sorti en 1983, c’est-à-dire il y a une éternité, on n’y
voit aucun ordinateur, alors que ces engins prennent le pouvoir, ou presque,
dans le film « face à face », pour lequel je réitère mon conseil :
vous pouvez vous économiser son visionnage. Sur ce sujet du match contre la
machine, croiser les entretiens de J. Lautier et N. Giffard est
particulièrement intéressant. La discussion avec Lautier n’est pas datée explicitement
mais les indications temporelles qu’on y entend permettent de la situer en
2002, juste quelques mois avant le
match de Kramnik contre Deep Fritz 7, qui s’est achevé sur un accord de nulle
(octobre 2002). L’assurance de J. Lautier, affirmant avec un petit sourire en
coin qu’il a de bonnes chances de l’emporter contre un ordinateur fait sourire,
quand on pense à la puissance de jeu qui se trouve dans votre téléphone, via n’importe
quelle application jouant aux échecs et qu’on constate que Vladimir Kramnik,
lorsqu’il a annulé contre Deep Fritz 7, avait plus de 2750 Elo, comparé aux
2558 de J. Lautier au moment de l’interview. A l’inverse, le ‘vieux briscard’
qu’est Nicolas Giffard est beaucoup plus réaliste vis-à-vis de la puissance des
machines puisqu’il est convaincu dès cette époque, et l’histoire lui a donné
raison, que les machines vont battre les humains. Son petit rire narquois à l’évocation
de la prétention de J. Lautier, dont il avait vu l’interview avant cet
entretien, en dit long sur l’opinion du MI sur le GM. L’histoire ne dit pas (en
tout cas, je n’ai rien trouvé de probant) si la décision de J. Lautier d’arrêter
définitivement de jouer aux échecs à partir d’avril 2009 est liée, peu ou prou,
à la cinglante défaite (2- 0 pour la machine et 4 nulles) de Vladimir Kramnik
contre Deep Fritz 10 en novembre 2006.
Et vous, à quoi jouez-vous, et contre qui ?
La prochaine fois (date incertaine), je vous parlerai du film 'le prodige'.