Sous ce titre mystérieux et donc alléchant (qui connait une défense Loujine ?)
se cachent un roman de Vladimir Nabokov, écrit en 1930 (en russe) et un film de
Marleen Gorris, sorti en 2001. Se posent donc naturellement les questions de
savoir si l’on préfère le film au livre, si le premier est le fidèle miroir du
second ou si la réalisatrice a trahi ou non le romancier et si elle a eu raison
ou non de le faire.
Disons-le tout de suite, le film, s’il est assez fidèle au roman au début s’en
écarte beaucoup dans son dénouement puisque le film s’achève sur une victoire
et le roman sur une défaite. Ainsi, il n’y a pas lieu de préférer l’un à l’autre
et sous le même titre, vous avez deux histoires passablement différentes.
Toutefois, la vision du joueur d’échecs est similaire dans les deux cas,
elle est donc celle de Nabokov : A très haut niveau, il est forcément fou,
névrosé, désaxé. Sa force aux échecs découle pour une bonne part de son obsession
pour le jeu, née d’un traumatisme. En cela, Alexandre Loujine ne diffère pas
trop de Monsieur B., le joueur d’échecs inventé par Stefan Zweig dans son
dernier roman, sobrement intitulé « le joueur d’échecs » et écrit
entre 1938 et 1941. La folie du génie est un peu une tarte à la crème, au
cinéma comme dans les romans (je pense en particulier à « Un homme d’exception »,
au cinéma) mais ce qui est très intéressant dans le livre de Nabokov et qui est
conservé dans le film, c'est qu'Alexandre Loujine, enfant prodige des échecs,
n'est, à l'âge adulte, et selon l'opinion de celui qui fut son mentor et son
entraineur pendant ses années d'apprentissage, qu'un second couteau, un suiveur,
pas un champion du monde en puissance… Bref, un raté, d’une certaine façon. Cette
opinion saura certainement vous surprendre, vous offusquer ou vous choquer et
ce pourrait être une bonne façon de vous inciter à lire le roman et/ou à
visionner le film.
Dans le livre, j’ai aimé la façon dont se développe la folie de Loujine,
comment des événements insignifiants ébranlent peu à peu sa raison et comment
sur des prémisses fausses, il bâtit un raisonnement logique. J’ai beaucoup aimé
aussi la description de la partie entre Loujine et Turati et je pense qu’elle
parlera profondément à tous les joueurs d’échecs. Dans le film, en revanche, ne
vous attendez pas à trouver de superbes positions dignes d’un championnat du
monde mais vous apprécierez certainement le charme désuet, plutôt bien
retranscrit en images, des échecs du début des années trente, avec pendules
mécaniques, ajournement des parties de championnat et tournois d’amateurs dans
les cafés. J’ai aimé aussi le soin apporté aux décors et aux costumes et le
caractère du personnage féminin, bien plus lumineux dans le film que dans le
roman.
Ainsi, le roman est noir
et le film blanc, les deux couleurs des 64 cases de ce jeu éternel.
Prochaine analyse : "La diagonale du fou". Date de parution non fixée pour le moment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire