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mercredi 6 janvier 2021

La défense Loujine

 


Sous ce titre mystérieux et donc alléchant (qui connait une défense Loujine ?) se cachent un roman de Vladimir Nabokov, écrit en 1930 (en russe) et un film de Marleen Gorris, sorti en 2001. Se posent donc naturellement les questions de savoir si l’on préfère le film au livre, si le premier est le fidèle miroir du second ou si la réalisatrice a trahi ou non le romancier et si elle a eu raison ou non de le faire.

Disons-le tout de suite, le film, s’il est assez fidèle au roman au début s’en écarte beaucoup dans son dénouement puisque le film s’achève sur une victoire et le roman sur une défaite. Ainsi, il n’y a pas lieu de préférer l’un à l’autre et sous le même titre, vous avez deux histoires passablement différentes.

Toutefois, la vision du joueur d’échecs est similaire dans les deux cas, elle est donc celle de Nabokov : A très haut niveau, il est forcément fou, névrosé, désaxé. Sa force aux échecs découle pour une bonne part de son obsession pour le jeu, née d’un traumatisme. En cela, Alexandre Loujine ne diffère pas trop de Monsieur B., le joueur d’échecs inventé par Stefan Zweig dans son dernier roman, sobrement intitulé « le joueur d’échecs » et écrit entre 1938 et 1941. La folie du génie est un peu une tarte à la crème, au cinéma comme dans les romans (je pense en particulier à « Un homme d’exception », au cinéma) mais ce qui est très intéressant dans le livre de Nabokov et qui est conservé dans le film, c'est qu'Alexandre Loujine, enfant prodige des échecs, n'est, à l'âge adulte, et selon l'opinion de celui qui fut son mentor et son entraineur pendant ses années d'apprentissage, qu'un second couteau, un suiveur, pas un champion du monde en puissance… Bref, un raté, d’une certaine façon. Cette opinion saura certainement vous surprendre, vous offusquer ou vous choquer et ce pourrait être une bonne façon de vous inciter à lire le roman et/ou à visionner le film.

Dans le livre, j’ai aimé la façon dont se développe la folie de Loujine, comment des événements insignifiants ébranlent peu à peu sa raison et comment sur des prémisses fausses, il bâtit un raisonnement logique. J’ai beaucoup aimé aussi la description de la partie entre Loujine et Turati et je pense qu’elle parlera profondément à tous les joueurs d’échecs. Dans le film, en revanche, ne vous attendez pas à trouver de superbes positions dignes d’un championnat du monde mais vous apprécierez certainement le charme désuet, plutôt bien retranscrit en images, des échecs du début des années trente, avec pendules mécaniques, ajournement des parties de championnat et tournois d’amateurs dans les cafés. J’ai aimé aussi le soin apporté aux décors et aux costumes et le caractère du personnage féminin, bien plus lumineux dans le film que dans le roman.

Ainsi, le roman est noir et le film blanc, les deux couleurs des 64 cases de ce jeu éternel.




Prochaine analyse : "La diagonale du fou". Date de parution non fixée pour le moment.

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