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lundi 15 novembre 2021

Le capitaine qui a refusé d'être arbitre raconte la ronde de Nat. III contre Annecy.

 L’équipe d’Annecy annonçait sa venue avec un joueur de moins pour cette 2e ronde de N3. Comme leurs meilleurs joueurs étaient absents et que les derniers échiquiers étaient des non classés, le match s’annonçait sous les meilleurs auspices. Peu de temps avant le début de la rencontre, cap’taine Hugues me demanda à brûle-pourpoint d’être l’arbitre de la rencontre. Pris au dépourvu, je lui conseillai d’aller se faire cuire une omelette. Il revint à la charge : « bon, alors c’est moi l’arbitre, mais toi tu es capitaine ». J’évitai de lui conseiller d’aller se faire cuire une 2eme  omelette et j’acceptai cette éminente responsabilité. Justin au 8e ayant donc gagné sa partie avant le gong de départ, pouvait sereinement contempler les autres parties en attendant de rentrer chez lui. Achille était le 1er à terminer. Sans doute était-il pressé de finir, car il jouait avec une poche de glace contre la joue suite à une visite douloureuse chez le dentiste (plus d'info : https://www.youtube.com/watch?v=Di5sdzHYetE). Comme la glace fondait petit à petit, on trouva par terre, sous la chaise d’Achille, une flaque d’eau qui fit s’interroger des spectateurs sur la santé de l’occupant de la chaise. Il fallut expliquer, un peu gêné, que non, ce n’était pas ce que les apparences pouvaient laisser croire, ce jeune de pas encore 18 ans n’était pas déjà atteint de problèmes de miction. Quant à sa partie, elle fut très facile, son adversaire très peu expérimenté perdant pièces et pions à un rythme soutenu. Au 2e , Nikolay jouait contre un ancien grenoblois bien connu, Yves Hodot. Yves est un vrai joueur d’Echecs, à l’ancienne. De ceux qui sont aussi bien capables de citer par coeur une partie Tal-Botvinnik de 1960 que d’oublier de manger à midi. Ca tombe bien, dans la Caro-Kan de Nikolay, Yves jouait le plan de Tal contre Botvinnik dans la 3e partie de leur match en 1960. Et comme justement il n’avait pas pensé à manger à midi (Yves, pas le russe !), il se mit à saucissonner consciencieusement sur l’échiquier. Oui, du sauce, du vrai, des longs bâtons de saucisson, qu’il mangeait tel que à pleine dents, de quoi faire syncoper un végétarien endurci ! Etant sur la table voisine, je pouvais entendre un doux concert de « crouinch », de « schmak» et de « slurps », parfois agrémentés de « brrrp » plus ou moins discrets. Un régal. Il avait également pensé à amener un truc qui ressemblait à du fromage de tête, mais il ne l’a pas ouvert. C’était notre rubrique « Anthropologie du joueur d’Echecs » Et la partie ? Ben ce fut une partie à la Hodot : ouverture ésotérique, milieu de jeu incompréhensible, sacrifice de pion obscur débouchant sur une finale égale avec un pion de moins qu’il gagna malgré tout, grâce à une technique parfaitement limpide, à l’exact opposé du chaos précédent. Du Hodot pur jus ! Nikolay comprit-il ce qui se passa dans cette partie ? J’en doute, mais il a des excuses : depuis au moins 40 ans, on a jamais pu trouver une seule personne qui ait compris quoi que ce soit dans une partie d'Yves. Parole de connaisseur ! Au 1er, mon adversaire me proposa une sorte d’hybride d’est-indienne et de hollandaise-Leningrad. Le début totalement louche qui vous fait immanquablement penser à des trucs du genre « je vais te me le réfuter ça en 2 temps 3 mouvements ». Et donc je décidai rapidement de sacrifier une pièce pour mettre le roi noir à nu et gagner une partie comme dans les livres. Mais comme il m’arrive moi aussi d’être distrait, j’oubliai que je joue beaucoup moins bien que les gens qui écrivent les livres d’Echecs. Et donc, si le sacrifice était sans doute correct, l’inévitable arriva : le temps consommé pour calculer l’exactitude du sacrifice se paya en argent comptant : avec 4 minutes pour jouer 25 coups, je laissai mon adversaire revenir en défense et je dus rendre les armes à la perte d’une nouvelle pièce. Boris, avec les blancs au 5eme, prit assez rapidement l’avantage contre la sicilienne peu active de son adversaire, accrut son avantage et gagna un pion au 28e coup. L’annécien en posture difficile lâchait une pièce sur gaffe à l’approche du 40e coup. Au 3e , Vincent avec les blancs jouait un gambit dame longtemps archi égal jusqu’à ce que son adversaire décide fort opportunément d’affaiblir sa chaîne de pions, permettant par là même une fourchette scolaire et le gain d’une pièce. Au 4ème , Cap’taine arbitre Blanchard jouait une partie fascinante : son adversaire, un adepte de la sicilienne Fort Knox (une sicilienne hermétique, encore plus fermée que la sicilienne fermée) perdait ses pions de façon méthodique, les uns après les autres. Et vas-y que j’en perds un, et vas-y que j’en perds 2, et vas-y que j’en perds 3. Dans une sicilienne fermée, c’est une forme d’exploit ! Le côté fascinant est qu’en même temps qu’il semait ses pions comme le Petit Poucet ses cailloux, il rentrait inexorablement dans des finales de plus en plus élémentaires. Il abandonnait dans une finale tour contre tour, 3 pions de moins et un 4e en train de succomber. A la table 6, la sicilienne de Pierre était confrontée à la variante Alapin, soit le 2e coup blanc : c3. D‘après l’oracle Jean Peyrin, celui qui joue cette variante est un lâche, car dans une sicilienne, faire c3 afin de jouer d4 au lieu de jouer d4 directement est la preuve la plus flagrante de la couardise aux Echecs. D’autant que l’adversaire de Pierre n’essayait même pas de jouer d4 et se contentait de d3. Heureusement que Jean n’a pas vu cette partie, ses rares cheveux s’en fussent dressés droits sur la tête. En guise de punition pour un tel manquement à l’esprit chevaleresque, Pierre confisqua 2 pions centraux, mais comme Pierre est aussi un homme très courtois, il en rendit 1. Puis, au 30e coup, Pierre fit un pseudo sacrifice de qualité dans le but de gagner une pièce par une attaque double et son adversaire abandonna illico. Mal lui en prit car il pouvait refuser le sacrifice et jouer un coup de tour salvateur qui aurait poursuivi la partie en regagnant la pièce, mais avec 2 pions de moins il est vrai. Finalement la morale était sauve et c’était la courtoisie qui triomphait. Le match se finissait sur le score de 6 à 2 pour nos couleurs, puis nous rangeâmes les beaux échiquier en marqueterie et les belles pièces feutrées et plombées. Un dernier coup d’oeil avant de partir : ah zut, sur une table, il restait encore un emballage gras et odorant qui avait contenu du saucisson. Sacré Yves !!

Alain Saint-Arroman

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