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mardi 8 février 2022

Les deux prodiges

Après beaucoup de temps, je reprends le fil de ma petite série sur les films et les livres sur le jeu d’échecs et ses adeptes. Pour me faire pardonner une si longue interruption, aujourd’hui au programme, DEUX critiques: le film « le prodige », avec Tobey Maguire dans le rôle de Bobby Fischer et « le jeu de la dame », le livre (de Walter Tevis, sorti en 1983 sans faire le buzz) et la série Netflix de 2020 (avec Anya Taylor-Joy) qui a propulsé le livre au rang de best-seller.

«Le prodige», film sorti en 2014, est un «biopic», qui raconte (romance ?) la vie de Bobby Fischer, de ses débuts de gamin pauvre à Brooklyn jusqu’à la consécration du championnat du monde contre Boris Spassky, en 1972. Deux choses m’ont particulièrement plu dans ce film. Premièrement, même si c’est un grand classique, les liens qui se tissent entre génie et folie sont remarquablement décrits. Les acouphènes, les micros imaginaires, la paranoïa qui s’installe... Dans la bande annonce:

 (https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=178973.html), 

c’est d’ailleurs écrit en toutes lettres : « derrière le génie se cache la folie ». Deuxièmement, chose assez rare pour être signalée, on voit vraiment des moments décisifs du match Fischer – Spassky, notamment la première partie avec la gaffe de Bobby, Fxh2. Quand j’écris « on voit », c’est qu’on a le temps de regarder la position, en plan large, pour décider si on prend le pion ou pas. Les autres moments forts du film sont, à mon avis, l’épisode des mages et la stand up ovation de Boris Spassky pour Bobby Fisher. Vous retrouverez tous les détails sur wikipédia, le contexte de la guerre froide etc :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Championnat_du_monde_d%27%C3%A9checs_1972.

Affiche du film : the pawn sacrifice, titre original


Passons maintenant au «jeu de la dame», titre du film et du livre fort mal traduit en français, puisque, n’importe quelle joueuse d’échecs vous le dira, the queen gambit, c’est le gambit dame. Coté jeux de miroirs avec «le prodige», nous avons ici affaire à un personnage fortement imaginaire, une femme mais à peu près la même période historique et le même destin : le titre de championne du monde.

J’ai lu le livre après avoir vu la série et il y a pas mal de petites différences entre l’une et l’autre. Elles ne sont pas vitales, comme dans «la défense Loujine» (voir ma critique, http://echiquiergrenoblois.blogspot.com/2021/01/la-defense-loujine.html) mais elles ne sont pas indifférentes non plus. En particulier, l’héroïne du livre est toujours décrite comme une petite brune sans charme, alors qu’Anya Taylor-Joy crève l’écran en rousse géniale. Les différentes addictions (alcool, drogue, sexe) sont traitées différemment dans le livre et le film, ainsi que le lent apprivoisement de la petite orpheline par sa mère adoptive, à mon sens bien plus subtil dans la série que dans le livre. J’ajoute le plaisir que j’ai eu à admirer le soin apporté aux décors, aux costumes et aux couleurs dans la série.

Anya Taylor-Joy dans « Le Jeu de la Dame » © PHIL BRAY/NETFLIX


La question la plus intéressante posée par cette série et le livre est : le jeu de la dame a-t-il quelque chose à voir avec le frémissement qu’on constate dans les clubs, et l’Echiquier grenoblois en particulier, en ce qui concerne les (primo)prises de licences ? Premièrement, un constat : après une saison 2020/2021 catastrophique en terme de licences à la FFE, pour cause de covid 19, la saison 2021/2022 fait état d’une remontée assez spectaculaire (voir le graphique : http://www.echecs.asso.fr/Actus/6797/Effectifs1.pdf), avec des totaux de licences flirtant avec les meilleures saisons (2015/2016, typiquement) jusqu’à la mi-janvier 2022. Bref, oui, la FFE retrouve ses niveaux de licences antérieurs et si on se focalise sur l’EG, nous en sommes actuellement à 272 licences, presque du jamais vu et la saison n’est pas finie. Si vous connaissiez le club des samedis et dimanches d’avant le COVID et que vous comparez à maintenant, la différence est flagrante : il y a un rajeunissement très net de la salle. Il est cependant un peu trop facile d’attribuer au jeu de la dame ce changement. D’une part aucune des personnes que j’ai rencontrées au club les WE ou avec lesquelles j’ai conversé par messagerie pour des renseignements concernant l’inscription au club ne m’a spontanément parlé du jeu de la dame comme d’une source de motivation. Ensuite, disons-le tout net : Beth Harmon est une pauvre petite orpheline, certes, et une géniale joueuse d’échecs pour laquelle on pourrait avoir de l’admiration MAIS comme elle fume, se drogue, qu’elle boit, qu’elle a une vie sexuelle agitée (dans la série) et que c’est une voleuse, au final, je pense qu’elle n’est pas particulièrement sympathique. Qui voudrait lui ressembler ou qui voudrait que ses enfants lui ressemblent en poussant la porte d’un club d’échecs, je vous le demande ?

Le mystère du noble jeu reste entier, la fascination qu’il exerce sur nos esprits étant très bien illustrée par ces pièces géantes qui se meuvent au plafond de la chambre de Beth, tête en bas.




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