Puisqu’au dix-septième siècle certaines grandes troupes parisiennes se produisaient à l’Hôtel de Bourgogne à Paris, nous avons décidé, le weekend du 21 et 22 mai 2022, avec l’équipe d’amis de l’Echiquier Grenoblois, composée de Pierre Lion, Aurélien Ladigue, Idir Benouaret et moi-même, de remanier le concept et de faire carrément de la Bourgogne le théâtre d’une pièce glorieuse.
La scène
d’exposition est pourtant trompeuse, dans un registre qui penche vers
l’absurde : nous sommes trois chez Pierre à attendre le retour de notre
hôte de sa randonnée, le départ est tardif, à bord d’un véhicule dont
l’intégrité repose un peu trop sur des bouts de scotch bien positionnés et nous
rejoignons notre location à Dijon vers le milieu de la nuit. Cela ne nous
empêche pas de bien dîner et d’effectuer une succincte visite de la ville, et
notamment de la somptueuse Cathédrale Saint-Bénigne (qui ne vaut toutefois pas,
selon Idir, celle de Beauvais…). Cette vision édifiante présageait-elle de
belles choses pour le lendemain ? Elle laisse du moins de belles images en
tête pour la courte nuit qui nous est réservée.
L’acte
suivant débute de manière tempêtueuse, avec un départ précipité mais
étrangement efficace. Nous arrivons à Esbarres à temps et y sommes agréablement
accueillis, avec manifestement de belles conditions de jeu. Une moyenne elo à
1697,5, pour cette coupe des moins de 1700, nous place en haut du tableau pour
commencer. Les péripéties et le registre épique peuvent alors débuter.
Au premier
échiquier, Idir peine avec les Noirs contre un jeune joueur très bien versé
dans l’Italienne et finit par s’incliner, pendant que Pierre gagne sa partie
contre la Française, avec un piège de mat raté par son adversaire en zeitnot
(pression au temps qu’il exerce tout au long du tournoi d’ailleurs, avec un jeu
rapide et clair), Aurélien gagne avec les Blancs dans une Sicilienne déjà très
tactique dans l’ouverture, et je l’emporte en finale avec les Noirs dans une
Najdorf stratégique et assez précise. C’est une première victoire 3-1 contre
l’Echiquier des Lions.
Après une
petite collation, préparée à la hâte le matin, comme une bulle idyllique dans
l’herbe, près des jeux pour enfants (et vraisemblablement pas que pour eux…),
aux côtés de nos adversaires du matin, nous reprenons le combat aux premières
loges contre l’Echiquier Lédonien, une jeune équipe pleine de talent. Cette
fois-ci, c’est moi qui m’incline contre une Petrov, étant allé chercher un pion
et une qualité empoisonnés, assez évidemment, mais non sans une lutte acharnée
et palpitante, au terme de laquelle ma Dame enfermée a fini par s’échapper,
mais sans que mon Roi ait pu en dire autant. Fort heureusement, pendant mon
affrontement à rallonge, Aurélien et Pierre gagnent confortablement avec les
Noirs dans une Française d’échange et une Najdorf, et Idir trouve la rédemption
avec les Blancs dans sa fétiche attaque anglaise de la Najdorf contre un fort
adversaire qui manque une tactique décisive.
La pièce
touche à sa fin et place les protagonistes en première position, à une ronde de
la fin, contre Sainte Foy Echecs. Aurélien et Pierre, irréprochables sur le
tournoi, exhibent leur maîtrise respective, avec les Blancs, de la variante
Tarrasch de la Française et du Gambit Hillbilly contre la Caro-Kann et gagnent
leur partie rapidement, avec assurance, agressivité et bonne vision tactique. Avec
les Noirs, j’obtiens une bonne position contre l’attaque anglaise dans la
Najdorf et je surprends mon adversaire avec un d5 justifié tactiquement.
Néanmoins, quelques fautes de jugement subséquentes me placent en difficulté et,
voyant la victoire de mes pairs, j’en profite pour forcer un perpétuel fortuit
dans une position extrêmement précaire et sans doute perdante un coup plus tôt.
Le dernier coup de théâtre se déroule au premier échiquier, où Idir tient
admirablement une finale nulle avec trois pions de moins (mais triplés !)
et finit par tomber dans un piège de son adversaire. Il a toutefois peu de
valeur dramatique car la victoire est déjà assurée, 2,5-1,5, et nous gagnons
dès lors la troisième phase de la Coupe Loubatière avec trois victoires consécutives !
L’acte
ultime de la pièce n’a rien de retentissant et semble tirer sa quiétude, dans
le retour à Grenoble, de ma dernière lecture, La Fille du capitaine de
Pouchkine, entre joyeuses conversations et assoupissements, en profitant bien
du plaisir acquis par ce combat victorieux et par tous les agréments qui l’ont
entouré.
Un grand
merci à toute l’équipe et au club pour avoir permis la mise en scène d’une
telle épopée. Je me réjouis de réitérer à Mayenne le mois prochain pour la
finale nationale !
Sofyan
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