Entre présidents de clubs, le sujet "tarte à la crème", c'est le mal qu'a fait internet aux clubs d'échecs, qui voient fondre le nombre de leurs licenciés depuis que les plateformes de jeu en ligne, fort bien faites et gratuites, permettent de jouer à n'importe quel moment, contre le monde entier et sans quitter son douillet chez soi plutôt que d'être réduit à se casser le nez devant la porte d'un club fermé "parce que ce n'est pas le jour d'ouverture".
Certes. Soit. Au lieu de pleurnicher sur cette calamité qui s'appelle internet, peut-être faudrait-il trouver le moyen de discuter avec ces joueurs passés du coté obscur du noble jeu, pour tâcher de comprendre ce qui pourrait les motiver à rejoindre les clubs. Sauf que ce n'est pas facile, puisque, par définition, ces joueurs d'internet ne viennent pas dans les clubs !
Chance, Laurent Dubeuf est de ceux qui ont franchi le Rubicon. Un témoignage rare et qui porte à réfléchir, tout autant qu'à saluer le courage (il en faut) et la pugnacité (il en a !) de celui qui a poussé la porte (grande ouverte) du tournoi de Villard de Lans.
Aimant
les échecs depuis l'enfance, je jouais régulièrement avec la famille ou
les amis mais sans plus :
faute de temps et d’adversaires. Régulièrement je vois des affiches de
concours, cela m’interpelle : beaucoup sont réservés aux compétiteurs de
club, sauf une : celle de l’Open de Villard de Lans qui permet à des
personnes extérieures de s’inscrire. En
2018, je me fixe l'objectif de participer à l'Open d'échecs de Villard
de Lans 2019, un tournoi d'une
semaine... N'ayant jamais joué dans un club ni participé à un
quelconque interclubs/compétition c'est un vrai challenge que je me suis
fixé.
Dans
cette aventure, j'embarque avec moi un compagnon de jeu, un des rares
avec qui je joue en "vrai" et
dont notre niveau de jeu est équivalent. Cela devient donc un projet
entre amis, nous avons un an pour nous entraîner et avons hâte de nous
frotter à des "vrais joueurs" de club. Pour
me préparer j'envisage plusieurs solutions: m'inscrire dans un club,
lire des livres, suivre des "tuto"
sur internet, jouer aussi souvent que possible avec mon collègue
(difficile de trouver d'autres joueurs ayant un niveau équilibré au
mien...). L'inscription dans un club fut très compliquée: ayant un
travail à responsabilités et étant président et moniteur
d'une association (Boxe)… Les horaires de club n'étaient pas
compatibles avec les miens...
Je
m'inscris donc sur le site Lichess... et me prépare essentiellement par
internet. Cela me permet de
jouer quand je le souhaite, pendant les pauses déjeuners et à tout
autre moment. Je trouve cela très pratique… Mais quand je perds,
j'ignore souvent pourquoi... J'analyse mes parties (un des avantages du
site): quand il s'agit de pure "tactique" je comprends
mes erreurs (une prise non vue…), mais quand ce n'est pas ça…. je ne
sais pas aller plus loin… Je
résous des problèmes tactiques tous les jours et joue régulièrement sur
le net (souvent en correspondance).
Le tournoi que je vise à l'open est pour les joueurs <1500.... Je me
fixe alors l'objectif de dépasser les 1500 sur Lichess, je progresse
bien et je suis content.
Puis
je joue avec mon collègue, "en vrai". Et là, ce fut une surprise:
j'étais bien en dessous de ce que
je pouvais faire en ligne, sur internet. Je réalise le problème: j'ai
développé une meilleure vision "combinatoire" en 2 D sur un écran
d'ordinateur que sur un vrai échiquier. Faute de pouvoir faire différemment, je décide donc de continuer l'entrainement sur internet, mais je résous
les problèmes et utilise un vrai échiquier pour jouer en parallèle.
Je me pose également la question sur le classement, entre celui d'un site comme Lichess et la réalité.
En parcourant des forums et posant la
question il semblerait qu'il y a un écart de 200 points, celui
d'internet étant surévalué. Ce que je trouve logique : sur internet les
joueurs abandonnent plus facilement ou jouent n’importe
où sans être vraiment concentrés comme lors d’un tournoi.
Je décide de passer mon objectif de 1500 internet à 1700....
Je
trouve également que les débuts de partie ne sont pas terribles pour
moi, j’étudie les ouvertures mais je n’ai pas
le temps de les maîtriser toutes, il faut que je choisisse et que je
travaille avec ces choix : Internet permet d’en découvrir une quantité
impressionnante… Mais laquelle choisir ? Il est dit qu’il faut les
choisir en fonction de son caractère et de sa façon
de jouer…. Je n’ai personne qui peut me conseiller et m’orienter. A ce
moment je découvre une des limites d’internet.
De
plus, derrière les ouvertures il y a des idées, des stratégies : là
encore pour certaines c’est compliqué d’avoir
des explications. Les tuto en ligne sont bien, mais impossible
d’échanger ou de poser des questions. Internet est bien pour jouer, mais
pour apprendre, je trouve que cela reste encore superficiel. Je choisis
donc des ouvertures simples et solides, ce qui je
pense suffira pour un tournoi Elo<1500.
Un mois avant le tournoi je suis classé 1900 sur Lichess en correspondance, cela me permet d’être en
confiance puis vient le jour J du tournoi. Je prends donc ma licence à l’Echiquier Grenoblois et m’inscris à l’open. Mon
collègue s’est désisté, pour raison professionnelle, je participe donc
seul au tournoi. Celui-ci fut
une découverte et une vraie surprise : les adversaires, les temps de
jeu, l’ambiance... Tout cela est nouveau. Premier choc : le niveau, le
classement internet et le classement « réel ». Je savais qu’il y avait
une différence, mais là c’est un gouffre. Les
joueurs me semblent bien plus forts dans la réalité que dans le
virtuel…. Je bataille contre des adversaires classé 1200 : je ne m’y
attendais pas… Mais j’y prends beaucoup de plaisir. En effet ils jouent
différemment, on retrouve le côté humain : les émotions.
On sent l’adversaire se décomposer sur un mauvais coup, ou à l’inverse
la joie de bien jouer : une dimension psychologique s’ajoute donc au jeu
et devient une partie intégrante de celui-ci. Certains proposent même
d’analyser la partie « post mortem » ensemble :
c’est alors un échange d’idée, de stratégie, c’est un vrai plaisir.
Deuxième
choc : la variété des joueurs. Sur le net on ne joue que contre des
pseudos ayant un classement.
Ici j’affronte des hommes, des femmes, des enfants, des personnes plus
âgées….Il n’y a pas de clivage, et l’habit ne fait vraiment pas le
moine : il faut de méfier de tous sans exception. Ils sont là pour
gagner. A
la fin du tournoi, je suis content : le challenge que je me suis fixé a
bien été relevé, sur 9 matchs
j’ai totalisé 5 points. Mon entrainement en autodidacte/internet a été
payant. J’ai beaucoup appris et progressé lors de ce tournoi et
découvert un monde que je ne connaissais pas. J’ai été bien accueilli
par les organisateurs et les joueurs malgré mon profil
« atypique ».
Mais
je pense qu’il me manquait un petit quelque chose pour aller plus loin
dans cet Open : jouer avec
de vrais joueurs et échanger avec eux sur les ouvertures, stratégies,
analyse de partie … Si j’avais eu la chance de rajouter cette composante
dans ma préparation, je suis persuadé que j’aurais été plus loin dans
ce tournoi. A l’avenir c’est une chose à laquelle
je songerais fortement pour progresser dans ce merveilleux jeu.
Laurent Dubeuf
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