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vendredi 12 juillet 2019

Un jouer d'internet a rejoint le coté lumineux du jeu !

Entre présidents de clubs, le sujet "tarte à la crème", c'est le mal qu'a fait internet aux clubs d'échecs, qui voient fondre le nombre de leurs licenciés depuis que les plateformes de jeu en ligne, fort bien faites et gratuites, permettent de jouer à n'importe quel moment, contre le monde entier et sans quitter son douillet chez soi plutôt que d'être réduit à se casser le nez devant la porte d'un club fermé "parce que ce n'est pas le jour d'ouverture". 
Certes. Soit. Au lieu de pleurnicher sur cette calamité qui s'appelle internet, peut-être faudrait-il trouver le moyen de discuter avec ces joueurs passés du coté obscur du noble jeu, pour tâcher de comprendre ce qui pourrait les motiver à rejoindre les clubs. Sauf que ce n'est pas facile, puisque, par définition, ces joueurs d'internet ne viennent pas dans les clubs ! 
Chance, Laurent Dubeuf est de ceux qui ont franchi le Rubicon. Un témoignage rare et qui porte à réfléchir, tout autant qu'à saluer le courage (il en faut) et la pugnacité (il en a !) de celui qui a poussé la porte (grande ouverte) du tournoi de Villard de Lans. 

Aimant les échecs depuis l'enfance, je jouais régulièrement avec la famille ou les amis mais sans plus : faute de temps et d’adversaires. Régulièrement je vois des affiches de concours, cela m’interpelle : beaucoup sont réservés aux compétiteurs de club, sauf une : celle de l’Open de Villard de Lans qui permet à des personnes extérieures de s’inscrire. En 2018, je me fixe l'objectif de participer à l'Open d'échecs de Villard de Lans 2019, un tournoi d'une semaine... N'ayant jamais joué dans un club ni participé à un quelconque interclubs/compétition c'est un vrai challenge que je me suis fixé.
Dans cette aventure, j'embarque avec moi un compagnon de jeu, un des rares avec qui je joue en "vrai" et dont notre niveau de jeu est équivalent. Cela devient donc un projet entre amis, nous avons un an pour nous entraîner et avons hâte de nous frotter à des "vrais joueurs" de club. Pour me préparer j'envisage plusieurs solutions: m'inscrire dans un club, lire des livres, suivre des "tuto" sur internet, jouer aussi souvent que possible avec mon collègue (difficile de trouver d'autres joueurs ayant un niveau équilibré au mien...). L'inscription dans un club fut très compliquée: ayant un travail à responsabilités et étant président et moniteur d'une association (Boxe)… Les horaires de club n'étaient pas compatibles avec les miens...
Je m'inscris donc sur le site Lichess... et me prépare essentiellement par internet. Cela me permet de jouer quand je le souhaite, pendant les pauses déjeuners et à tout autre moment. Je trouve cela très pratique… Mais quand je perds, j'ignore souvent pourquoi... J'analyse mes parties (un des avantages du site): quand il s'agit de pure "tactique" je comprends mes erreurs (une prise non vue…), mais quand ce n'est pas ça…. je ne sais pas aller plus loin… Je résous des problèmes tactiques tous les jours et joue régulièrement sur le net (souvent en correspondance). Le tournoi que je vise à l'open est pour les joueurs <1500.... Je me fixe alors l'objectif de dépasser les 1500 sur Lichess, je progresse bien et je suis content.
Puis je joue avec mon collègue, "en vrai". Et là, ce fut une surprise: j'étais bien en dessous de ce que je pouvais faire en ligne, sur internet. Je réalise le problème: j'ai développé une meilleure vision "combinatoire" en 2 D sur un écran d'ordinateur que sur un vrai échiquier. Faute de pouvoir faire différemment, je décide donc de continuer l'entrainement sur internet, mais je résous les problèmes et utilise un vrai échiquier pour jouer en parallèle.
Je me pose également la question sur le classement, entre celui d'un site comme Lichess et la réalité.  En parcourant des forums et posant la question il semblerait qu'il y a un écart de 200 points, celui d'internet étant surévalué. Ce que je trouve logique : sur internet les joueurs abandonnent plus facilement ou jouent n’importe où sans être vraiment concentrés comme lors d’un tournoi.
Je décide de passer mon objectif de 1500 internet à 1700....
Je trouve également que les débuts de partie ne sont pas terribles pour moi, j’étudie les ouvertures mais je n’ai pas le temps de les maîtriser toutes, il faut que je choisisse et que je travaille avec ces choix : Internet permet d’en découvrir une quantité impressionnante… Mais laquelle choisir ? Il est dit qu’il faut les choisir en fonction de son caractère et de sa façon de jouer…. Je n’ai personne qui peut me conseiller et m’orienter. A ce moment je découvre une des limites d’internet.
De plus, derrière les ouvertures il y a des idées, des stratégies : là encore pour certaines c’est compliqué d’avoir des explications. Les tuto en ligne sont bien, mais impossible d’échanger ou de poser des questions. Internet est bien pour jouer, mais pour apprendre, je trouve que cela reste encore superficiel. Je choisis donc des ouvertures simples et solides, ce qui je pense suffira pour un tournoi Elo<1500.
Un mois avant le tournoi je suis classé 1900 sur Lichess en correspondance, cela me permet d’être en  confiance puis vient le jour J du tournoi. Je prends donc ma licence à l’Echiquier Grenoblois et m’inscris à l’open. Mon collègue s’est désisté, pour raison professionnelle, je participe donc seul au tournoi. Celui-ci fut une découverte et une vraie surprise : les adversaires, les temps de jeu, l’ambiance... Tout cela est nouveau. Premier choc : le niveau, le classement internet et le classement « réel ». Je savais qu’il y avait une différence, mais là c’est un gouffre. Les joueurs me semblent bien plus forts dans la réalité que dans le virtuel…. Je bataille contre des adversaires classé 1200 : je ne m’y attendais pas… Mais j’y prends beaucoup de plaisir. En effet ils jouent différemment, on retrouve le côté humain : les émotions. On sent l’adversaire se décomposer sur un mauvais coup, ou à l’inverse la joie de bien jouer : une dimension psychologique s’ajoute donc au jeu et devient une partie intégrante de celui-ci. Certains proposent même d’analyser la partie « post mortem » ensemble : c’est alors un échange d’idée, de stratégie, c’est un vrai plaisir.
Deuxième choc : la variété des joueurs. Sur le net on ne joue que contre des pseudos ayant un classement. Ici j’affronte des hommes, des femmes, des enfants, des personnes plus âgées….Il n’y a pas de clivage, et l’habit ne fait vraiment pas le moine : il faut de méfier de tous sans exception. Ils sont là pour gagner. A la fin du tournoi, je suis content : le challenge que je me suis fixé a bien été relevé, sur 9 matchs j’ai totalisé 5 points. Mon entrainement en autodidacte/internet a été payant. J’ai beaucoup appris et progressé lors de ce tournoi et découvert un monde que je ne connaissais pas. J’ai été bien accueilli par les organisateurs et les joueurs malgré mon profil « atypique ».

Mais je pense qu’il me manquait un petit quelque chose pour aller plus loin dans cet Open : jouer avec de vrais joueurs et échanger avec eux sur les ouvertures, stratégies, analyse de partie … Si j’avais eu la chance de rajouter cette composante dans ma préparation, je suis persuadé que j’aurais été plus loin dans ce tournoi. A l’avenir c’est une chose à laquelle je songerais fortement pour progresser dans ce merveilleux jeu.
Laurent Dubeuf

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